Carmella verrouilla soigneusement l’armoire à morphine et glissa la clef dans la poche de sa blouse. Elle fut tentée, l’espace d’un instant, de rouvrir le placard et de voler un flacon pour son usage personnel, mais elle se ressaisit. Ce n’était pas le moment de prendre des risques et l’infirmière en chef ne plaisantait pas avec la morphine. De toute façon, la drogue n’était pas une solution raisonnable. La réalité n’avait que trop tendance à prendre des contours flous, ce n’était pas la peine d’en rajouter. La nuit surtout, quand Carmella ne parvenait pas à fermer l’oeil et que ses pensées l’entraînaient sur des chemins étranges et menaçants... elle avait parfois peur de devenir folle. L’infirmière en chef lui jeta un coup d’oeil inquisiteur et lui demanda d’un ton faussement neutre, et d’une voix suffisamment forte pour être audible de tous: - Vous avez l’air un peu à côté de vos pompes, Carmella...Vous êtes sûre que tout va bien ? Heureusement, le chirurgien de garde ouvrit la porte et beugla : - On a besoin de monde aux urgences ! Une défenestration ! Un gamin ! Il a même pas ouvert la fenêtre avant de sauter, il a pris son élan et il s’est jeté à travers la vitre !